Architecture, Théorie architecturale

TUTO – Faire une concertation publique sans public, covid édition

Nos politiciens adorent nous faire croire que nous aurions un certain pouvoir de décision en tant que peuple et en tant que citoyens. C’est pour cela qu’un concept merveilleux a été inventé : la concertation publique !
Les concertations publiques sur les projets d’aménagement sont fantastiques : il n’y a pas de public, et personne n’est concerté. Elles ne sont là que pour la forme, pour faire croire au peuple que son avis compte. Si le public aime le projet proposé, tant mieux, ce sera construit. S’il n’aime pas le projet, tant pis, ça sera construit quand même. MAIS on aura concerté l’habitant, on aura entendu son avis. Seulement, entendre ne veut pas dire prendre en compte. C’est tout un art, de faire semblant d’être démocratique. Nos chers élus sont très doués dans le jeu de l’hypocrisie, et ils ne cessent de le démontrer.
Alors aujourd’hui, l’Académie des Joyeux Architectes vous propose un tutoriel spécial politicien véreux : comment faire une concertation publique sans public, spécial pandémie ! (notez tout d’abord qu’il n’y a rien de mieux qu’une crise pour faire passer discrètement des projets controversés)

Ce petit tuto, sponsorisé par l’ANRU et le Grand Paris (on plaisante, mais on espère qu’ils nous partageront bientôt leurs petits secrets), se base sur de vraies techniques vraiment employées par de vrais politiciens. En somme, sur une concertation publique existante, ayant eu lieu en décembre 2020.

1. Ne pas faire de réunion publique d’information

Nous sommes en pleine pandémie, donc évidemment, hors de question de tenir une réunion publique d’information. Tout sera donc mis en ligne. Et quitte à tout mettre en ligne, autant créer un site internet que personne ne verra… Pour cette concertation virtuelle, nous allons donc créer un nouveau site internet, qui sera différent de celui de la municipalité (déjà que personne ne le consulte, celui là…). Pour la forme, on mettra un lien vers ce site sur le site officiel de la ville, mais il ne sera disponible qu’au fin fond d’une sous-rubrique de rubrique.

2. Faire en sorte que personne ne soit au courant de la concertation

Afin de conserver un semblant de légalité, on annoncera ensuite qu’on a l’intention d’afficher publiquement l’annonce d’enquête publique, mais on ne l’affichera qu’à la mairie ainsi qu’à la préfecture (qui est située dans une autre ville que celle concernée par le projet, hé hé !). Aucun affichage dans les rues de la commune, aucun courrier envoyé aux habitants.
Puis, au dernier moment, vu qu’on est gentils quand même, on mettra un lien vers le site de l’enquête publique dans le journal municipal papier. Mais avant tout, on y mettra 4 pages expliquant en long en large et en travers pourquoi la ville telle qu’elle est actuellement est absolument dégueulasse, et que le maire corrompu – euh, pardon, les habitants de la commune – ont vraiment besoin que de grands groupes immobiliers mafieux viennent dynamiter ces affreux logements prolétariens et expulser des milliers d’habitants au passage. Toutes les villes du Grand Paris ont rudement besoin que leur parc HLM soit remplacé par des incubateurs de start-ups.

3. Mentir sur ses intentions

On tâchera de promettre qu’aucun habitant ne sera expulsé sans être relogé, mais le contraire sera écrit noir sur blanc dans le texte juridique de notre projet controversé. Après tout, qui est en mesure de comprendre les textes juridiques et les documents d’urbanisme, à part des personnes ayant un bac+5 ? Il ne faudrait quand même pas que les habitants, principaux concernés, soit au courant de ce qu’il va leur arriver. Utilisons donc le plus de jargon technique possible, ils auront bien du mal à comprendre et contester ces textes.
Le travail de vulgarisation reviendra donc aux associations d’opposition, qui produiront un travail gratuit, et que nous accuserons ensuite de servir un agenda politique controversé (comme nous ? Mais non enfin, une municipalité, c’est apolitique).

Avec ça, vous avez déjà perdu tous les habitants qui ne sont pas architectes ou urbanistes (c’est à dire 99,9999% des habitants). Pour les 3 péquenauds d’archis et urbas qui restent, on va encore compliquer un peu plus les choses.

4. Mettre un retraité en place de commissaire-enquêteur

Le commissaire-enquêteur en charge de récolter les avis sur la concertation publique sera unique, et sera un retraité. Vu qu’il fait ce travail un peu bénévolement (dans le sens où rien ne l’oblige à le faire), il sera peut-être un peu plus neutre mais il ne sera pas autant impliqué qu’il le pourrait, donc il sera plus aisé de le faire pencher en notre faveur. Surtout si c’est un de nos amis.

5. Limiter le nombre de rencontres

On dira que les seules observations qui seront prises en compte seront celles envoyées par formulaire postal, électronique, ou sur rendez-vous avec ce commissaire-enquêteur, mais on ne proposera que 24 créneaux de rendez-vous avec le commissaire-enquêteur (sur réservation), pour une personne à la fois (afin de respecter les gestes barrières !). Donc 24 personnes au total. Forcément, les gens préféreront se rabattre sur la voie électronique, via internet. Mais ne vous en faites pas, tout est déjà prévu pour contrer ça.

6. Résultats de la concertation ?

Cette satanée opposition est bien organisée, nous avons eu une incroyable participation à la concertation publique (des centaines et des milliers de personnes), malgré tous les moyens mis en place pour les décourager ! Mais souvenez-vous de ce que nous avons dit en introduction :

« Si le public aime le projet proposé, tant mieux, ce sera construit. S’il n’aime pas le projet, tant pis, ça sera construit quand même.« 

Il y a eu des milliers d’avis défavorables par voie électronique. 80% d’avis défavorables. MAIS. Il n’y a eu que quelques dizaines d’envois postaux, qui émanent de nos amis, que nous avons mis au courant. En effet, il ne nous reste qu’à dire que seuls les envois postaux sont finalement pris en compte, car on estime que ce sont les seuls sur lesquels nous avons la garantie qu’ils émanent d’habitants de la commune. Et ces envois postaux sont ceux de nos amis donc ils sont bien entendu majoritairement favorables à notre projet.

Rapport d’enquête : favorable.
Malgré une concertation majoritairement défavorable.
Démocratie ? Quelle démocratie ?

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Epilogue

Ce tutoriel sarcastique est hélas réel.

La démocratie, c’est le droit de contester, de critiquer, de s’indigner, d’être écouté et d’être entendu, aussi ! C’est le droit à l’opposition, tout en respectant évidemment un principe fondamental : la liberté des uns s’arrête où commence celle des autres.

La ville est à nous, habitants, riverains, citoyens de passage ou de longue date. Et nous devrions avoir notre mot à dire sur l’avenir de nos cités. Notre bien-être devrait passer avant des considérations d’ordres politique et financier. On devrait penser la ville pour ses habitants actuels, et pas pour ses futurs habitants destinés à remplacer et gentrifier la population présente. Mais tout ce que vous savez faire, chers élus, c’est nous mépriser. Nous n’avons pas de pouvoir. L’architecture participative est un mythe. La concertation publique est une pure hypocrisie qui vise à se donner belle image et bonne conscience.

Dédicace au maire de ma ville : tu n’emporteras pas tes pots de vin au paradis. Et je t’en veux de détruire jour après jour ce petit lieu que tu méprises, ce petit lieu qui représente pourtant tout pour moi, et que tu détruis progressivement à coup de pelleteuses, pour nous déposséder des liens que nous avons tissé. Tu as gagné. Il n’y a plus un seul quartier de la ville qui ne soit sous ton joug et celui des promoteurs. Rien ne ressemble plus à rien, les amis partent, les commerces ferment, les immeubles explosent, les arbres tombent –
Pourquoi diantre gouvernes-tu ce lieu que tu hais tant ?

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