Espace et nostalgie
L’architecture est un Art, cela ne fait aucun doute. C’est même le premier. Mais il s’agit d’un art quelque peu différent des autres. Tandis que la plupart des autres disciplines artistiques, telles que la peinture, la musique ou la sculpture servent à exprimer des émotions et offrir aux spectateurs des narrations, l’architecture, elle, agit en tant que réceptacle à ces phénomènes. L’architecture est comme une toile sur laquelle se dessinerait, au fil du temps et des interactions humaines qui s’y produisent, des récits, des anecdotes, des souvenirs plus ou moins marquants, des sentiments. Les émotions liées à un lieu dépendent ainsi de l’appropriation qu’en font ses usagers.
L’architecte apporte évidemment ses intentions lorsqu’il conçoit un bâtiment. Prenons l’exemple d’une église : il s’agit d’un édifice religieux destiné à évoquer et à accueillir la piété, la sérénité et la miséricorde. Les bruits de pas qui résonnent dans le silence de rigueur, la lumière des vitraux léchant doucement les parois, les cierges qui tressaillent légèrement dans le clair-obscur des voûtes… L’ambiance mise en place dans et par l’espace participent à retranscrire les émotions que l’architecte cherche à exprimer, en relation avec les usages auxquels le bâtiment est destiné. Mais admettons à présent qu’une atroce catastrophe se soit produite dans cette église : ce même lieu deviendra un mémorial macabre, rattaché à des émotions fort éloignées de la bénédiction divine que l’on est censé y trouver. L’architecture est telle une page blanche sur laquelle des lettres s’ajoutent, formant des mots qui forment des phrases, de sorte à recenser tous les événements qui s’y produisent. Certains tomberont dans l’oubli. D’autres marqueront profondément l’espace, s’enracineront dans ses fondations, s’incrusteront dans la sous-face…
L’architecture comme lieu d’accueil du théâtre de l’Humanité.
Le sentiment le plus doux, et en même temps le plus amer, sans doute, que puisse procurer un lieu, est la nostalgie. Ce phénomène qui consiste à se rappeler et regretter. Se rappeler et sourire. Ou pleurer. Lever les yeux au ciel et se demander s’il est possible de revenir en arrière. La nostalgie est comme une pièce à deux faces : nous pouvons y lire le regret, ou au contraire l’envie d’aller vers l’avant, en portant dans son cœur des souvenirs plus ou moins chers. Nous pouvons être nostalgiques de choses vécues ; la plupart du temps, cela se passe ainsi. Mais il advient également que nous nous prenions de nostalgie pour des choses, des lieux que nous ne connaissons pas. Des lieux qui malgré tout sont liés à nous, d’une manière ou d’une autre.
Ce texte est issu de mon mémoire de master, ayant pour sujet la nostalgie de lieu.