Le problème avec les promoteurs immobiliers
Fin 2020, le journal Libération publiait un article intitulé « Pourquoi les logements neufs sont petits et mal fichus« . La lecture de cet article m’a rappelé des problématiques que j’avais eu l’occasion de voir au travail, et j’y ai réagi sur les réseaux sociaux en partageant ma propre expérience du travail et mes observations. Ce fil de réflexions balancées à chaud un soir d’hiver, entre deux journées de chômage, ont pris une tournure inattendue : mon fil a été relayé plus d’un millier de fois, avec plus de 3000 likes, et il y a même la journaliste de l’article de Libération qui m’a relayée. Je m’attendais clairement pas à tout cela, et je suis encore choquée aujourd’hui de l’ampleur que ça a pris (pour dire l’ampleur du bail, j’ai même trouvé un travail suite à ce post). J’ai aussi reçu des insultes de promoteurs immobiliers, mais ça, comme disait Chirac, ça m’en touche une sans faire bouger l’autre.
Il me semble donc pertinent de retranscrire ce texte ici. Il est brouillon, imparfait, il y a du langage cru, mais au vu des réactions et des débats que ça a soulevé, c’est sans doute loin d’être la pire chose que j’ai produite de ma vie. Il y a des points que j’y aborde qui mériteraient d’être traités plus en profondeur dans d’autres articles ; le format réseaux sociaux avec ses limites de caractères ne permet malheureusement pas de trop s’épancher, j’avais donc du faire pas mal de raccourcis sur certains concepts. Je me suis permis (vu que c’est mon propre texte) de reformuler un peu, de sorte à ce que ça passe mieux en format article.
Voici donc l’article de Libération en question :
Article de Libération : « Pourquoi les logements neufs sont petits et mal fichus »
Et à présent, le fameux texte :
Le problème avec les promoteurs immobiliers
C’est exactement comme ça que ça se passe pour la conception de logements aujourd’hui. Je peux vous raconter ce que j’ai vu en travaillant avec des promoteurs, en comparaison avec comment on concevait l’architecture en école. C’est à nous dégoûter du métier, des patrons, des promoteurs.
Pour commencer, un pré-requis normal pour tous projets (logements ou non) : quand on veut faire un projet quelque part, nous devons nous renseigner sur la ville, le quartier, les besoins des habitants, l’environnement proche et lointain… En bref, sur le contexte. Les promoteurs eux, s’en foutent du contexte. Le projet peut avoir lieu à Aubervilliers comme à Lyon ou Sermamagny, rien à battre. On y proposera le même genre de choses. Peut importe que l’un est une banlieue, l’autre une grande ville, l’autre un village rural. Limite aucun acteur engagé n’y mettra les pieds avant le chantier. La mairie exige des « photos sur place » pour le dépôt de permis de construire ou de déclaration préalable. Ils prennent ces photos sur Google Maps parce que « merde, flemme de prendre le train pour aller prendre des photos et voir à quoi ça ressemble, hein ». Parfois le site est seulement à 30 minutes de l’agence mais ils s’en foutent.
Le rôle du PLU
Le PLU (plan local d’urbanisme) donne des indications aux architectes sur la réglementation locale (ce qu’on a le droit de faire ou non, quoi). Pour résumer, l’analyse du PLU vous donnera un volume maximal dans lequel le bâtiment peut s’insérer (en largeur/longueur/hauteur).
Normalement, quand on est un architecte consciencieux, on prend ces contraintes pour ce qu’elles sont : un maximum à ne pas dépasser. Et on fera un bâtiment fonctionnel, avec des dimensions qui pourront être bien inférieures au volume maximal défini par le PLU, car le but est de faire de la qualité, pas de la quantité. L’architecture de promoteur, elle, va remplir intégralement ce volume maximal, car on par du principe que plus on construit plus c’est rentable. Mais ça signifie qu’on va avoir des bâtiment si larges que c’est impossible de les faire traversants.
Ça signifie aussi que les bâtiments vont avoir des formes étranges (car le volume max défini est juste un maximum, comme un bloc d’argile à sculpter, pas une forme idéale du tout !). Et donc, c’est difficile de faire de beaux logements dans ces conditions. On va avoir des zigzags, des salons en forme de couloir exigu, un découpage des appartements pas fonctionnel… Et bien sûr des logements mono-orientés (= les fenêtres sont toutes du même côté, contrairement aux logements traversants où il y a des fenêtres de part et d’autre du logement).
Privatisation des espaces verts
Le PLU réclame aussi un pourcentage de terrain laissé libre (pleine terre, ou juste végétalisé, bref, des espaces verts souvent). Ces espaces pourraient accueillir des aires de jeux, des espaces verts collectifs… Mais non, tout doit devenir privé. Donc on va redécouper tout ça en jardins privés pour les apparts du RDC. J’ai eu un projet où il fallait 60% d’espace libre, eh bien ça a donné des jardins privés plus grands que les appartements à qui ils appartenaient. Tout se fait dans une logique commerciale et individualiste. Et cela, mes chers compatriotes, ça tue la collectivité, l’espace public et les interactions entre voisins, en rendant tout privé 😠
L’accessibilité PMR
La réglementation impose parfois d’avoir certains (ou totalité de) logements accessibles PMR. Les promoteurs n’aiment pas ça. Alors « heureusement » pour eux qu’il y a un moyen de contourner: ils peuvent, à la place, faire un logement NON accessible, s’ils arrivent à justifier que « si un jour une personne à mobilité réduite souhaite s’installer, elle a la possibilité de faire des travaux pour adapter ».
Du coup au lieu de prendre en compte la question de l’accessibilité directement dans le processus de conception, on laisse ça à la charge des futurs habitants concernés. Globalement, le validisme est très marqué dans le BTP, pas étonnant que les villes soient aussi peu accessibles.
Les parkings
Concernant ce qu’ils disent dans l’article sur les parkings, je confirme, on conçoit les parkings sous terrain en premier PUIS les logements s’y adapteront. Ça devrait être l’inverse normalement. C’est absurde mais ça suit encore une logique marchande.
Les matériaux
On choisira les matériaux les plus cheaps possible, d’ici 10 ans l’immeuble s’effondrera mais d’ici là les promoteurs auront déjà vendu tous les apparts à 500k chacun donc ils s’en lavent les mains. Ce sera la responsabilité de la copropriété de payer les travaux.
Eh oui, les logements sociaux construits de nos jours sont faits de meilleurs matériaux que ces logements privés vendus chers et sur plan (c’est mieux de vendre avant que ça soit construit, sinon les gens pourraient voir que c’est de la merde). Car les bailleurs sociaux préfèrent faire quelque chose de durable plutôt que de payer des travaux tous les 10 ans. Donc en fait les gens déboursent super cher pour avoir des logements super merdiques et que même les architectes et promoteurs eux même ne voudraient jamais vivre dedans. Une belle arnaque organisée.
Je pourrais continuer longtemps, et parler aussi des publics visés par ces opérations immobilières (familles blanches valides CSP+), la communication gerbante (souvent greenwashing + que des blancs valides sur les perspectives 3D), de la gentrification de ces projets, mais j’ai déjà fait d’assez gros pavés… Juste je veux qu’on sache à quel point c’est la merde, que ces acteurs privés sont en train de niquer nos villes, et qu’il faut pas hésiter à s’opposer à ces projets en tant que riverains, à vandaliser leurs kiosques de vente… & N’ACHETEZ PAS ÇA!
Si quelqu’un ici veut acheter, préférez l’ancien au neuf !
Décembre 2020